FRANCE CULTURE (2015) Cioran à propos du suicide

FRANCE CULTURE, Emission « le Gai savoir » ( 17.05.2015) Philosophies de Cioran (1ère partie)

« Emil Cioran écrit comme un impressionniste mélange tous les sombres pour obtenir le plus beau noir : chaque phrase est un hurlement gelé, une trace, une cicatrice, une cicatrace que le monde a déposée, pour qu’elle s’y développe dans une petite chambre obscure. « C’est mal me connaître que de parler de moi » disait-il… Allons-y, donc. »

Erwann Bleu (2008) Introduction au « suicide »

Erwann Bleu (2008) Introduction au « suicide », Travail d’étude et de recherche Seconde année de Master SHS Mention Philosophie

Le Phédon

Pourtant, si les philosophes ont effectivement profondément étudié l’affirmation de Socrate selon laquelle “ceux qui s’occupent vraiment de philosophie […] n’emploient toute leur vie  qu’à faire l’apprentissage de la mort”, ils ont en revanche, exceptés l’antiquité grecque (abritant, d’après Minois, une “pluralité d’opinions” à propos du “suicide” que Grisé explore plus à fond) ou le stoïcisme romain, relativement escamoté la réflexion autour du thème du prétendu “meurtre de soi-même” – il n’est qu’à voir les scandales qu’ont pu provoquer les oeuvres, rares et ponctuelles, de David Hume (Essai sur le suicide, dont on trouvera une analyse en annexe puisque ce texte offre un résumé et une réfutation des arguments hostiles au “suicide”) ou de John Donne (Biathanatos, dans lequel l’auteur s’acharne, de manière retorse, à démontrer que le “suicide” n’est pas un péché même dans une optique chrétienne), ou encore, tout simplement, de s’apercevoir du peu d’ouvrages philosophiques entièrement consacrés à cette question (à titre d’exemples rapides, citons, outre les deux précédents, le célèbre Mythe de Sisyphe d’Albert Camus – encore qu’il ne soit pas certain que le “suicide” en constitue le thème principal comparé à l’absurde –, ou bien les livres de Cioran ; ces deux derniers auteurs pouvant d’ailleurs être considérés, à tort ou à raison, plus comme des “écrivains” que comme des “philosophes” à part entière).

A dire vrai, Camus est l’un des rares à penser que “le seul problème philosophique vraiment sérieux” est “le suicide”. Sans doute se place-t-il volontairement dans une problématique extrême – bien que son raisonnement se révèle, au final, consensuel – mais, sans aller jusqu’à l’approuver, nous pouvons effectivement nous étonner de ce qu’un acte niant, a priori, tout discours et toute réflexion extérieure, dans le sens où il les renvoit à leur insuffisance, à leur impuissance, et, par conséquent, à leur prétention, n’ait pas plus retenu l’attention des philosophes ; précisons que par “retenir l’attention”, nous n’entendons pas l’apposition d’un jugement moral – futil travesti dans différents registres de langage – sur la légitimité ou l’illégitimité (cette dernière étant ailleurs sur-représentée) d’un tel acte, mais bien une problématisation du “suicide” en tant que tel : c’est-à-dire une réflexion permettant d’offrir une diversité de pistes d’appréhension sur ce dernier, pistes étant d’une part à la hauteur des interrogations premièrement dégagées et évitant,
d’autre part, le retour conclusif décevant aux préjugés dominants, préjugés consistant à vouloir imposer à tout prix un jugement de valeur, d’approbation ou de désapprobation, sur le “suicide” – trop souvent au détriment de la beauté et de la force des réflexions antérieures

http://johannfr.free.fr/Suicide.pdf