Jean-Louis Terra : «On peut tous apprendre les gestes de « secourisme psychique »»

À l’occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide, vendredi 10 septembre, jean-Louis Terra, psychiatre (1), explique que l’on peut prévenir une tentative de suicide

 LA CROIX

 LE SUICIDE PROVOQUE ENVIRON 10 000 DÉCÈS PAR AN EN FRANCE, ET L’ON COMPTE PLUS DE 160 000 TENTATIVES. QUE SAIT-ON DE CE PHÉNOMÈNE ?

Jean-Louis Terra : On parle plutôt aujourd’hui de « crise suicidaire ». Il s’agit d’un processus qui se déroule en plusieurs étapes. Il y a d’abord l’idée de suicide : je pense à me donner la mort, mais j’ai peur de le faire ; puis l’intention : « Je vais trop mal, cela dure depuis trop longtemps, je vais le faire » ; la programmation : comment, où et quand ? Enfin la mise en oeuvre, le « passage à l’acte ».
Cela peut être méthodique, organisé. La personne prévoit de se suicider loin de chez elle afin que personne ne la découvre, range ses placards. Deux questions ralentissent ce processus : comment me donner la mort ? Par quel moyen ? Et comment fermer ma vie ? Mettre de l’argent de côté pour mes proches, écrire une lettre pour essayer de les déculpabiliser…

VOUS TRAVAILLEZ SUR LA PRÉVENTION DU SUICIDE. PEUT-ON VRAIMENT INTERROMPRE LE PROCESSUS QUE VOUS VENEZ DE DÉCRIRE ?

La crise suicidaire, même très avancée, est réversible. Les gens sont ambivalents jusqu’au bout. Certains pendus se sont arraché la peau du cou en essayant d’enlever la corde. Il faut donc dépasser les idées reçues. Le suicide est un trop-plein de souffrance qui ne reçoit pas de réponse.
Les gens ne veulent pas mourir, mais arrêter de souffrir. Le fait d’avoir un moyen accessible de se donner la mort, dormir avec une lame de rasoir dans sa main par exemple, peut calmer. Les personnes qui ont des idées de suicide – environ 5 % – peuvent être arrêtées si elles sont écoutées au bon moment par la bonne personne qui va constituer une bouée de sauvetage.

MAIS ÉCOUTER NE SUFFIT PAS, IL FAUT AUSSI SAVOIR RÉAGIR…

Si quelqu’un vous dit « je vais mal », ne changez pas de sujet, ne le rassurez pas bêtement en disant « cela va passer ». Au contraire, soyez curieux de l’autre, pour approfondir sa souffrance, voir jusqu’où est allée la crise.
La difficulté est de contrôler ses propres émotions face à ce qui renvoie à notre propre détresse, à nos doutes sur le sens de la vie. Et d’être capable de poser des questions précises : « Est-ce que tu as été jusqu’à charger une arme pour la mettre dans ta bouche ? » La qualité des questions détermine l’efficacité de l’intervention.
Cette personne était seule. Si vous osez l’accompagner aux confins des ténèbres, elle pourra poser son fardeau. L’objectif est de voir ce qui la pousse au malheur, mais aussi ce qui la retient. Si elle est vivante, c’est qu’elle a des pensées positives. Axez vos questions sur ce qui l’a arrêtée : Dieu ? Son père, à qui « elle ne peut pas faire cela » ? Ses enfants ? Etc.

 

OÙ EN EST LE PROGRAMME DE FORMATION D’INTERVENANTS QUE VOUS AVEZ LANCÉ ?

En octobre 2000, j’ai proposé au ministère de la santé de former des formateurs suivant la méthode mise en place par la psychiatre Monique Séguin au Canada. À ce jour, j’ai formé 500 binômes de psychiatres et des psychologues à la conduite à tenir face à quelqu’un en état de détresse psychique majeure. Ils ont ensuite formé d’autres professionnels, directeurs de prison, enseignants, policiers, mais aussi des bénévoles associatifs…
La formation dure trois jours, comporte des jeux de rôle, des mises en situation et un matériel pédagogique important. On y apprend les « gestes de secourisme psychique », à mettre des mots sur une situation. Tout citoyen à peu près équilibré et qui a le souci de l’autre peut apprendre à entrer en contact avec quelqu’un qui va mal, à évaluer l’urgence suicidaire pour l’orienter vers la chaîne de secours : famille, urgences, médecin traitant, numéros verts…
Beaucoup de personnes en détresse n’imaginent pas qu’un inconnu pourra être d’un quelconque secours. Le défi de la prévention du suicide est d’aller chercher les hommes qui souffrent en silence.

Recueilli par Anne-Isabelle SIX 

(1) Professeur de psychiatrie à l’université Lyon 1 et chef de service de psychiatrie de secteur au centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon.


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